LE LION ET LE MOUCHERON
Va-t-en, chétif Insecte, excrément de la terre. (1)
C'est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron.
L'autre lui déclara la guerre.
Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi
Me
fasse peur ni me soucie (2) ?
Un
Bœuf est plus puissant que toi,
Je
le mène à ma fantaisie.
À peine il achevait ces mots
Que
lui-même il sonna la charge,
Fut
le Trompette et le Héros.
Dans l'abord (3) il se met au large,
Puis prend son temps (4), fond sur le cou
Du
Lion, qu'il rend presque fou.
Le Quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit, on se cache, on tremble à l'environ ;
Et
cette alarme universelle
Est
l'ouvrage d'un Moucheron.
Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle,
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air qui n'en peut mais (5), et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat ; le voilà sur les dents.
L'Insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une Araignée :
Il
y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui
périt pour la moindre affaire.
Source : Ésope "Le cousin et le lion" (recueil
Nevelet). Ici, le lion provoque le moucheron, ce qui n'est pas le cas
dans Ésope.
La moralité, dans Ésope, était :"Cette fable est écrite
contre ceux qui abattent les puissants et sont
abattus par les petits"
(1) parodie d'une stance composée par Malherbe
contre le Maréchal d'Ancre ( titre donné à Concini, dont Louis XIII commanditera l'assassinat) :
"Va-t-en à la malheure, excrément de la terre"
(2) m'inquiète. A l'époque, le verbe n'était pas seulement pronominal comme maintenant
(3) dans la façon d'aborder, d'attaquer
(4) choisit son moment
(5) qui n'y peut rien